Deux textes
Texte 1 :
Je laisse une mère, je laisse une femme, je laisse un enfant.
Une petite fille de trois ans, douce, rose, frêle, avec de grands yeux noirs et de longs cheveux châtains.
Elle avait deux ans et un mois quand je l'ai vue pour la dernière fois.
Ainsi, après ma mort, trois femmes, sans fils, sans mari, sans père ; trois orphelines de différente espèce […].
J'admets que je sois justement puni ; ces innocentes, qu'ont-elle fait ? N'importe ; on les déshonore, on les ruine […].
Ce n'est pas que ma pauvre vieille mère m'inquiète : elle a soixante-quatre ans, elle mourra du coup […].
Ma femme ne m'inquiète pas non plus ; elle est déjà d'une mauvaise santé et d'un esprit faible. Elle mourra aussi […].
Mais ma fille, mon enfant, ma pauvre petite Marie, qui rit, qui joue, qui chante à cette heure et ne pense à rien, c'est celle-là qui me fait mal !
Texte 2 :
J'étais réveillé quand mon père partit. Ma mère lui fit quelques recommandations et resta après son départ, prostrée sur son lit, le visage caché dans ses deux mains. J'eus la sensation que nous étions abandonnées, que nous étions devenus orphelins. […].
Personne le soir ne pousserait plus notre porte, n'apporterait de l'extérieur la suave odeur du travail, ne servirait de lien entre nous et la vie exubérante de la rue.
Pour ma mère et pour moi, mon père représentait la force, l'aventure, la sécurité, la paix. Il n'avait jamais quitté sa maison ; les circonstances qui l'obligeaient ainsi à le faire prenaient dans notre imagination une figure hideuse.